René-Jean CAILLETTE

(1919-2005)

simplicité et sensibilité : deux qualités majeures que notre époque a parfois du mal à faire valoir, soit qu'elle obéisse à des systèmes esthétiques trop absolus, soit qu'elle néglige le côté émotif des objets et des choses.

Dans une architecture très rationnelle, c'est l'atmosphère lumineuse, la clarté intime, les harmonies apaisantes qui comptent. Elles sont certes, le résultat d'une savante recherche, mais une recherche d'intimité qui veut être l'expression de la plus juste sincérité.

Elle équivaut aux démarches d'un peintre en possession d'une palette bien à lui, c'est-à-dire d'un choix de couleurs personnel, qu'il dose à son gré et à travers lequel il nous communique sa vision du monde. Peut-être à ses heures creuses le décorateur R.-J. Caillette fait-il de la peinture ?

On le croirait facilement tant il sait faire vibrer les blancs
et les ocres dans une gamme qui prend successivement les nuances de la paille ou de la terre, pour que l'orangé flambe entre le chamois et le bistre. Il a donné à l'ensemble de son appartement les couleurs de sa vie intérieure, c'est probablement pour cette raison qu'elles nous paraissent si justement appliquées.

Caillette est un jeune décorateur déjà très connu pour la sûreté de son dessin. Il expose dans les plus grandes manifestations ( Salon des Artistes Décorateurs ) Foyer d'Aujourd'hui au Salon des Arts Ménagers ; Exposition Internationale de Bruxelles, etc.).
Il a réalisé de nombreuses décorations d'appartements, il a aussi créé pour la grande série beaucoup de meubles et de sièges dans des formes neuves, détachées de la tradition par un dépouillement rigoureux qui n'implique pourtant aucune sécheresse.

Son art a eu l'habileté de s'adapter aux consignes étroites de la fabrication industrielle, sans rompre avec notre sensibilité élémentaire qui exige que des formes conçues pour le bien-être de l'homme se plient A sa cambrure et A ses rondeurs.

Ainsi ses chaises de contreplaqué moulé, sans barreaux ni entretoises sont de conception audacieuse, leur galbe, leur inflexion, leur souplesse les rendent pourtant parfaitement confortables.

Dans la salle de séjour tout a été dessiné par lui et exécuté d'après ses plans.

« Je n'ai pas voulu, dit-il, faire des effets de décoration, en utilisant des matières Insolites ou des matériaux riches, j'ai recherché avant tout à équilibrer les masses, afin de dégager une impression de calme et de repos. Tout le matériel de la vie domestique étant rangé et dissimulé dans des endroits bien définis, Il restait à créer une atmosphère confiante, naturelle, le j'ai fait par la lumière, en m'entourant des objets familiers et simples que j'aime. »

 

En effet, nous ne sommes pas ici chez un artiste qui cherche à s'étourdir avec des artifices ; sa vie n'a peut-être rien de commun avec la nôtre, mais Il semble que ce qu'il réalise si totalement, chacun de nous y aspire confusément : vivre dans un Intérieur qui soit un autre soi-même.
L'équilibre dont Il parle a été obtenu par les bonnes proportions du mobilier et des sièges, puis par leur disposition heureuse qui isole chaque élément.

L'oeil a ainsi une vue d'ensemble agréable, mais s'Il le veut, peut aussi flâner sur les détails qui se composent avec art. Les détails, ce sont les belles plantes d'appartement qui ne cessent de se développer, les coupelles de bois, de liège, quelques bibelots de paille, des coquillages, des objets aux formes simples, mais pures.
 Soucieux de ne pas limiter d'une façon définitive les emplacements de la lecture, du repos, des loisirs par un éclairage fixe, et de ne pas encombrer l'espace par des lampadaires sur pied, Caillette a eu l'originalité de prévoir de longs fils électriques qu'il retient au plafond par des pattes invisibles.

A ceux-là, il suspend dans un endroit ou un autre des groupes de lampes qu'il dissimule derrière des abat-jour cylindriques de différentes couleurs. Ainsi, répartissant la lumière comme un décorateur, Il en use sans contrainte comme un poète qui, sous l'Influence de sa fantaisie veut rendre sensible à tous l'intimité de l'habitation.

Dans une très grande pièce il reconnaît que cet arrangement serait impensable, trop de fils, trop d'imbrications d'éléments lumineux risqueraient d'apporter désordre et confusion, mais là, dans cet espace relativement petit, cette solution permet au contraire d'introduire à peu de frais de la spontanéité, de la vie et de compenser la rectitude des plans.

Et c'est bien là un des traits qui distinguent cet excellent décorateur : ne pas être l'esclave des rhétoriques, humaniser avec des moyens simples les tendances rigoureuses de la décoration moderne.

 

Sources : Mon Jardin et Ma Maison N° 59 Avril 1963

Photo : Mon Jardin