Erreur d’attribution chez Piasa pour des fauteuils de Gio PONTI

Le 17 décembre 2016, la PATROL a reçu d’un informateur anonyme une alerte concernant des fauteuils vendus pour 12 880 € chez PIASA le 18 novembre 2015. Les fauteuils sont dits « model 572 », édités par Cassina, et dessinés par Gio Ponti (pièce à conviction #1). Vrai ? Faux ? La PATROL s’est saisie de l’affaire.

 

Pièce à conviction #1

 

A première vue, les experts de PIASA ont au moins le mérite d’être cohérents avec eux-mêmes : un fauteuil identique fut en effet vendu sept mois plus tôt chez eux pour 12 760 €. Même nom, même éditeur, même designer, mêmes références bibliographiques & mêmes estimations (pièce à conviction #2).

 

Pièce à conviction #2

 

Ces deux adjudications sont accompagnées de références bibliographiques (pièces à conviction #3 & 4). Il va de soi que le label « bibliographie » a un impact indéniable sur la valorisation d’un meuble design… à tel point que la PATROL relève régulièrement des abus manifestes. Qu’en est-il de PIASA ? Connaisseurs ou amateurs ? Commençons par analyser les preuves bibliographiques citées en référence. Direction, la salle de lecture de DOCANTIC.

 

Pièce à conviction #3

 

Pièce à conviction #4

 

On a cherché partout, en long en large et en travers, et on n'a pas trouvé le nom de Gio Ponti associé à ce fauteuil. On s'est dit en interne que l'éditeur avait certainement oublié d'imprimer les précieux mots clés : "Gio" & "Ponti"... Et bien non ! Le dessin du modèle est bien du « Ufficio Tecnico della Cassina », autrement dit une création 100% maison. Même si Gio Ponti a bien collaboré avec la maison Cassina, et notamment sur sa fameuse chaise Superleggera dès 1957, il semblerait qu'il ne soit pas l'auteur de ce fauteuil. 

 

Plusieurs théories pourraient expliquer l’erreur des experts de chez PIASA :

1) Ils ont sorti le nom de Gio Ponti de leur chapeau pour artificiellement valoriser les fauteuils ;

2) Ils n’ont pas vérifié les sources bibliographiques et se sont contentés de copier/coller le descriptif de leurs confrères ;

3) Il y en a bien une troisième, mais ne soyons pas cyniques, c'est pas notre genre !

 

Les suspicions penchent sur les pistes #1 & #2. Après tout, empocher plus de 25% de frais à l’acheteur après avoir « travaillé » 2 minutes, c’est sacrément alléchant… La pratique semble en effet s’être reproduite à maintes reprises entre 2001 et 2013 chez WRIGHT, SOTHEBY’S (le contraire nous aurait étonné !), CORNETTE de SAINT CYR... et une ribambelle d’autres études italiennes, suisses et américaines (pièces à conviction #5). Etonnant en revanche que PHILLIPS et CHRISTIE’S soient également tombés dans le panneau, alors qu'ils font d'habitude preuve d'une plus grande rigueur.

 

 

 

 

 

Pièce à conviction #5

 

Parmi les résultats d’enchères, l’un d’eux attire l’attention de la PATROL. Il s’agit d’un fauteuil identique vendu par un commissaire-priseur italien qui a pris le soin de préciser les mêmes sources bibliographiques que ses confrères… et d’y joindre un certificat des Archives de Gio Ponti (pièce à conviction #6) ! L’informateur de la PATROL et les ouvrages bibliographiques seraient-ils mal informés, et les commissaires-priseurs auraient-ils en fait raison ?!

 

Pièce à conviction #6

 

La PATROL contacte immédiatement ledit commissaire-priseur qui, en grand (et trop rare) professionnel, reconnait l’erreur au catalogue (pièce à conviction #7).

 

"Je sais désormais que Gio Ponti n'a pas dessiné ce modèle, mais les Studio Cassina. Ce que j'ai écrit en 2012 était incorrect. Nous n'avons pas de certificat des Archives de Gio Ponti".

Pièce à conviction #7

 

Les enquêteurs de la PATROL sollicitent naturellement Lisa Licitra-Ponti et Salavatore Licitra, avec lesquels ils sont en contact. Salvatore est le premier à répondre. Il confirme l’erreur d’attribution (pièce à conviction #8) : il s’agirait bien d’un design des ateliers de Cassina.

 

"Je confirme que selon moi il s'agit d'un design des Studio Tecnico Cassina".

Pièce à conviction #8

 

Nous voilà rassurés : notre informateur et la documentation avaient parfaitement raison. Quant à PIASA & Co. ils sont juste... ah non, c'est vrai pas de cynisme !

 

Suivant la piste de Salavatore Licitra, et pour obtenir une preuve documentaire irréfutable, la PATROL se rapproche de Cassina. Un magasin étant situé à Los Angeles, la PATROL s’y déplace. Le Manager est incapable d’éclairer les enquêteurs et leur recommande de contacter le siège new-yorkais. Ce dernier dit avoir les plus grandes difficultés à obtenir ce type d’information de la maison-mère. Selon lui, mener l'enquête en Italie ne serait que peine perdue. Un nouveau challenge pour la PATROL qui contacte immédiatement le siège historique de Cassina à Méda. Sans surprise, les enquêteurs ne reviennent pas bredouille. La réponse de Cassina, accompagnée de l’extrait de leur catalogue de 1964 ne tarde pas. Voici leur conclusion (pièce à conviction #9) :

 

 

Pièce à conviction #9

 

Par expérience, la PATROL sait qu’une œuvre d’art présentée aux enchères avec : un designer formellement identifié + le nom de l’éditeur + deux références bibliographiques + une référence de modèle, est  systématiquement associée à cet auteur. Néanmoins, coupable et récidiviste, PIASA est la regrettable exception qui confirme la règle. Surprenant ? Non, pas vraiment, juste consternant, affligeant !

Maintenant, si PIASA peut faire de telles boulettes concernant des fauteuils de 1964 alors que le design est censé être la spécialité maison, on a peine à imaginer ce que doivent receler les ventes dont ils ne sont pas spécialistes… Laissons donc à d’autres cette lourde charge et revenons à nos moutons… ou plutôt à nos ânes !

Entre le déclenchement de l'alerte et la résolution de l'affaire, 30 jours, très exactement, se sont écoulés. Bourriquet & Co. pourraient alors se défausser en disant que ce type d’investigation est proprement impossible à mener pour les 300+ lots qui constituent chacune de leurs ventes. Faux ! leur rétorque la PATROL, car c’est justement ce pour quoi les clients rémunèrent leurs services. S'ils s’en sentent incapables, qu’ils changent de métier… et quand on voit la manière dont ils le font, il serait peut-être temps d’envisager une reconversion.

Avant de clore ce dossier, la PATROL tient vivement à remercier son informateur pour son esprit communautaire et pour lui avoir signalé cette erreur, ainsi que l'ensemble des protagonistes qui ont permis de résoudre cette enquête. 

 

Affaire classée.

 

 

Crimes et délits fréquemment commis (plus d’infos ici) :

 

Défaut de papiers ! L’expert n’a pas fourni de preuves documentaires d'époque recevables. Verbalisé !

 

Acte de sorcellerie ! L’expert a fait une erreur significative de datation. Une affaire paranormale pour Mulder & Scully ! Gardé à vue !

 

Disparition de témoin ! Aucun artiste n’a été identifié par l’expert. Alerte enlèvement, comparution immédiate !

 

Usurpation d’identité ! L’œuvre a été incorrectement attribuée à un tiers. Et Picasso a peint la Joconde, hein ?! Ecroué !

 

 

 

La Fiche d’Information de la DOCANTIC PATROL

 

La mission de la DOCANTIC PATROL, par l’intermédiaire de nos enquêteurs méticuleux et dopés aux expressos ultra serrés, est d’enquêter sur les affaires qui polluent le marché du meuble XXème. Manque de documentation, non-identification, erreur de date ou d’identification, nous identifions les suspects et permettons que le rétablissement de la vérité fasse jurisprudence.

Chez DOCANTIC nous pensons que chaque artiste mérite d’être correctement identifié pour chacune de ses réalisations, et qu’un collectionneur devrait payer le juste prix pour son achat. Le marché de l’art est pollué par ces erreurs d’attribution et d’estimations malhonnêtes. En diffusant les photos originales d’œuvres du XXème siècle, DOCANTIC PATROL identifie et appréhende ces sur ou sous-estimations. C’est notre mission. Nous servons et protégeons les meubles du XXème siècle.

Basé à Los Angeles, DOCANTIC partage avec tout amateur d’art les informations gardées secrètes par une poignée d’individus depuis bien trop longtemps !