Services d'Estimations d'Art en Ligne : Compétents ou Charlatans ?

Compte tenu de la gravité des faits énoncés dans cet article prouvant incontestablement l’incompétence des maisons de ventes et des sociétés d’expertises passées au crible, nous avons décidé de ne pas divulguer l’identité des acteurs mis en cause dans cet article. La mission de DOCANTIC n’est en aucun cas de porter préjudice à qui que ce soit, mais bien de défendre les intérêts du marché de l’art et de ceux qui se retrouvent victimes de l’affligeant amateurisme qui gangrène le marché du meuble XXème.

 

Les mutations du marché de l'art engendrent de nouvelles pratiques, parmi elles, les estimations d'art en ligne inondent le web. , , etc. se sont infiltrés dans la brèche. Mais, ces services sont-ils véritablement fiables ? DOCANTIC a enquêté pour comparer ces suspects, leurs pratiques et leurs réseaux.

 

Il nous est paru nécessaire, pour mener notre enquête à bien, de tester ceux qui se présentent comme étant les "meilleurs experts" dans leur domaine. Puisque DOCANTIC est spécialisé en identification de meubles et objets d'art du XXème siècle, nous avons envoyé à ces experts trois pièces à conviction de 1948 à 1957. Sachant que le nom du designer a un impact considérable sur le prix de vente d'une œuvre d'art et que l'immense majorité des meubles du XXème n'est pas signée, il est parfois complexe pour un particulier d'en identifier l'auteur et donc la valeur. Mais qu'en est-il pour des "spécialistes" ?

 

Les pièces à convictions partagées avec les suspects incluaient des images en haute résolution et les informations ci-dessous :

 

Paire d'appliques / Peut-être en bronze ? / 47x33 cm

 

Table dessus en verre / Peut-être en bronze ? / 55x110 cm       

 

Table dessus marbre / Peut-être en fer forgé ? / 56x125 cm

 

 

Combien ça coûte ? Quels sont les délais ?

Certaines maisons nous ont facturé ce service, d'autres non. Les premiers, dont l'estimation en ligne est souvent l'activité principale, facturent ce service. Les autres, sous prextexte de fournir un service gratuit, tentent ainsi d'attirer des clients vers leurs offres payantes. C'est de bonne guerre, rien à redire ici.

Comparons dans un premier temps leurs tarifs et leur réactivité :

 

 

Surprenant ou pas, le service (de loin) le plus cher n'a pas été le plus réactif. En revanche,  annonce faire des estimations en 48 heures, mission accomplie ! Les londoniens ont été les premiers à nous répondre. Le lendemain, c'est au tour d' et  de rendre leur copie. Peu après nous avons reçu les réponses d' et de . La PATROL a en revanche du cuisiner  pendant 7 jours pour que ce dernier sorte enfin de son mutisme et reparte ainsi avec le bonnet d'âne !

 

 

Quelle fut la première impression ?

Avant de nous plonger dans le cœur de l'enquête, examinons l'emballage. L'écrin ne contribue-t-il pas à la beauté du bijou qu'il enferme ? Visiblement tous les suspects scrutés à la loupe ne partagent pas notre avis.

 met les petits plats dans les grands, en décernant un joli diplôme chatoyants à chacune de nos requêtes. En revanche, à trop tirer sur la cartouche d'encre il en reste visiblement plus assez pour les descriptifs de nos œuvres... A l'inverse, les services payants que sont  et  ont pris la peine de décrire chacune de nos pièces.

 et  se partagent quant à eux la palme de la paresse. Ils se sont, visiblement avec grande peine, contenté d'un simple email. Ils ne sont pas restés muets lors de l'interrogatoire, soit, mais dans cette industrie de "luxe et d'apparât", on peut légitimement s'attendre à un minimum d'efforts dans la présentation. Nous nous attendions à plus d'éclats pour des maisons aussi réputées.

 

 

Qui a eu tort, qui a eu raison ?

Il est vrai que la complexité de nos requêtes s'adressaient plus à un commissaire divisionnaire qu'à un gardien de la paix. Nous étions toutefois très sereins et emplis de confiance dans la mesure où chaque suspect se targue de travailler avec des "anciens de chez Sotheby's et Christie's" (), "des spécialistes en interne et plus de 300 experts internationaux" (), "une équipe de spécialistes" (), et, "avec des experts qui ont plus de 30 ans d'expérience" ().  dresse même le trombinoscope de son gang d'experts !

Notons par ailleurs que des œuvres similaires à nos demandes ont été vendues aux enchères. Parce que ces dernières reflètent la valeur du marché, ce sont ces résultats d'enchères (publics !) que nous avons gardés comme mètre-étalon.

Voici la valeur du marché et véritable paternité de nos pièces à conviction, que nos Sept Mercenaires devraient nous livrer :

 

Paire d'appliques d'Henri Delisle, 1952, bronze. Une applique vendue aux enchères en 2014 pour :

150 € l'une (estimée 150 - 200 €)

 

 

Table dessinée par Jean Blasset et André Guggiari, 1957, bronze et verre. Version ronde vendue aux enchères en 2006 pour :

10 112 € (estimée 5 000 - 6 000 €)

 

 

Table de Jacques Quinet, 1948, marbre et fer forgé. Vendue aux enchères en 2006 pour :

61 661 € (est. 50 000 - 60 000 €)

 

 

Rapport d'enquête de

Bien que leurs services soient payants, , qui avait pourtant le service le plus rapide et doté d'une présentation de qualité, n'est pas parvenu à attribuer ne serait-ce qu'une seule œuvre à un artiste. De ce fait, les chances de correctement estimer la valeur de ces pièces étaient maigres !

 

 

 

 

 

Rapport d'enquête d'

Est-ce que "service gratuit" signifie forcément "service pourri" ? C'est ce que semble penser  et dans le cas présent il serait difficile de leurs donner tort :

 

 

 

 

Les parisiens n'ont guère fait mieux que . Ils sont très (très) loin de la valeur réelle des tables. D'ailleurs, même en ignorant l'identité du designer, une question se pose :

 

Comment peut-on annoncer qu'une table vaut "0,00 € - 0,00 €" ?!

 

L’ultime site d’expertise français estime que notre sublime table ne vaut même pas un centime ! Toutefois, sans être parvenu à leur attribuer une paternité,  a néamoins limité la casse avec leur estimation des appliques. A voir les deux autres estimations, on se demande si ça n'est pas un coup de chance ?

Puisque leur site présente l'ensemble de l'équipe d'experts, nous avons été surpris de recevoir un email d'une autre personne que Jean-Marc Maury, pourtant annoncé comme étant leur spécialiste des "Arts Décoratifs du XXème siècle". Nous avons donc répondu à  pour savoir si c'était bien lui qui s'était chargé de nos estimations. Visiblement l'équipe d' traite les demandes de ses clients comme elle classe ses dossiers :

 

 

Après avoir signifié que nous n'étions vraisemblablement pas les destinataires de leur réponse, nous avons réitiréré notre demande concernant l'identité de l'expert ayant procédé à nos estimations. Leur première réponse a été de nous informer qu'ils n'avaient jamais estimé ces œuvres. Etrange... leurs propres liens vers leurs estimations sont pourtant dans le corps même de notre message !! Magnanimes, nous leurs avons donc envoyé les éléments, à nouveau. Voici leur réponse :

 

 

Fin mot de l'histoire :  communique sur son équipe d'experts à qui, dans un premier temps, les éléments ne sont pas transmis. Avec deux demandes distinctes, nous obtenons des estimations qui varient de 1 à 3. Dans ces conditions on serait même tenté de renvoyer une troisième, voire une quatrième...

 

 

Rapport d'enquête de

Contrairement aux autres suspects,  était loin d'être gratuit ! Aurons-nous des résultats plus concluants ? Vérifiez par vous-même.

 

 

 

 

Comme , malgré un service payant, la qualité du rapport était plus que décevante. Les appliques furent estimées pour 40% de leur valeur moyenne et la table de Jean Blasset & André Guggiari pour à peine 2%. Si se targue d'être "un service révolutionnaire d'informations sur le marché de l'art", des résultats d'enchères complets et de la documentation d'époque semblent toutefois manquer à leur collection...

 

 

Rapport d'enquête de

Vous imaginez qu'un commissaire-priseur haut gradé soit capable de se démarquer du lot ? Voici la réponse de  :

 

 

"Quelle joie de consulter les photos de vos appliques, il s'agit d'un design de Emile-Jacques Ruhlmann, et la table ressemble à un design de Gilbert Poillerat. Pourriez-vous nous envoyer plus de photographies ? Nous pouvons aussi programmer une visite à votre convenance. [...] Cordialement, Biiiiip"

 

Impossible d'obtenir une estimation chiffrée de nos œuvres par email. Il semblerait que  ait des directives quant aux estimations données par email sur simple photo. On protège ses arrières ? Ceci étant,  a tout de même laissé paraître des éléments croustillants ! La table dessus marbre ressemble en effet à "un design de Gilbert Poillerat", et il n'est pas exclu qu'il en soit d'ailleurs le fabriquant, sachant que les deux décorateurs ont souvent collaboré. Mais comme le démontre la documentation d'époque, la table a bien été déssinée par Jacques Quinet, qui, dans l'état actuel de nos connaissances, est le seul à pouvoir légitimimement en revendiquer la paternité. Plus inquiétant, ils ont identifié fermement Emile-Jacques Ruhlmann comme étant l'auteur de la paire d'appliques, qui est en réalité d'Henri Delisle... mais ne nous attardons pas là-dessus, la PATROL a déjà suffisement parlé de cette affaire dans un rapport précédent.

 

 

Rapport d'enquête de

 est le principal concurrent de . Nous les avons interrogés séparément pour comparer leurs versions. Voici la réponse de leur QG américain :

 

 

"Les deux premiers lots ne sont pas pour nous, il nous serait donc très difficile de vous fournir des estimations. En ce qui concerne le troisième lot, la table en marbre, elle a des réminiscences de l'œuvre de Gilbert Poillerat. J'ai fait des recherches dans notre documentation mais ne suis pas parvenue à retrouver le modèle dans les ouvrages consacré à l'artiste [Sans blague !!] (ndlr). S'agissant d'une œuvre qui ne puisse être qu'attribuée à l'artiste, nous ne pouvons pas la passer en vente chez nous. Cependant, je vous suggère de contacter Bonhams ou Doyle et voir avec eux s'ils peuvent vous aider à les vendre, bien que la table ne soit qu'attribuée à Gilbert Poillerat. Je suis navrée de ne pas pouvoir plus vous aider, mais j'espère que les deux maisons précédemment citées pourront vous assister. Cordialement, Biiiiiip"

Concurrents dans les affaires mais non moins complices ?! Nos enquêteurs soupçonnent un clônage humain tant les similitudes sont nombreuses entre Gnafron et Madelon : impossible d'obtenir une évaluation chiffrée par email, la table de Jean Blasset & André Guggiari n'a à leurs yeux aucune valeur, et enfin la table de Jacques Quinet ne serait qu'attribuée à Gilbert Poillerat.  se démarque toutefois par sa mansuétude, recommandant à nos investigateurs de proposer nos lots à ce qu'ils semblent considérer comme des commissaires-priseurs low cost !

 

 

Rapport d'enquête d'

Bien que fraîchement sorti du moule, , un leader des enchères en ligne, est parvenu à lever des dizaines de millions de dollars ces derniers mois. Est-ce que la qualité de ses estimations justifie les gesticulations des investisseurs ?

 

 

Voici la réponse d' : "Ces pièces ne sont malheureusement pas vendables via biiiiiip.com, car vos objets n'ont pas atteint la limite tarifaire interne. Merci de contacter un commerçant local ou un autre site pour organiser la vente. Nous regrettons de ne pas avoir pu répondre favorablement à votre message, mais restons à votre disposition pour toutes autres demandes. Avez-vous d'autres œuvres pour lesquelles vous souhaitez obtenir des estimations gratuites ? Si oui, répondez simplement à cet email avec des photos de vos objets. Cordialement, l'équipe Biiiiiip". 

Sans surprise, le résultat était une fois encore désopilant.  est parvenu à correctement estimer les appliques, mais sans être capable de leurs associer un designer. Classique ! Pour ce qui est des tables, elles ont été estimées respectivement à 5% et 1% de leur valeur réelle. Face à de tels résultats, on s'est même demandé en interne si ce n'était pas eux qui s'étaient occupés de la déclaration de patrimoine des Balkany...

Comme nous renvoie également chez un vendeur local ou vers une autre plateforme de vente en ligne afin de vendre nos pieces. Le moindre que l’on puisse dire c’est qu’ils sont sympas les commissaires-priseurs entre eux, ils se refilent des clients? Une espèce de recyclage, quoi !! Il semblerait surtout que la valeur de notre quincaillerie n’atteigne pas le prix minimum acceptable chez . C’est vrai après tout, deux tables pour 70 000 € c'est d'avantage pour LeBonCoin ! 

Finalement, et non des moindres, nos tables réalisées en France dans les 40 et 50 sont travesties en italiennes des années 70 : on leur montre une Facel-Vega et ils nous disent que c'est peut-être une Fiat 500 ! Leurs investisseurs appréciront…

 

 

Rapport d'enquête de

Dernier sur la liste, , qui a récement fusionné avec , s'était également spécialisé dans le business des enchères en ligne.

Voici leur rapport complet :

 

 

"Merci pour votre réponse. Comme nous sommes des commissaire-priseurs, nous fournissons des estimations basées sur les prix du marché. De ce fait nous avons besoin du noms des créateurs de vos pièces afin de pouvoir vous en communiquer leur valeur réelle. Je vous invite donc à contacter un expert local afin que celui-ci puisse les examiner et vous donner une estimation. J'espère que cette réponse vous a aidé. CORDIAlement, Biiiiiip". 

En bref : "On n'y connait rien, alors merci de contacter des personnes compétentes et revenez vers nous afin que l'on puisse en tirer les bénéfices. Ca vous va ?"

Alors oui, leur réponse nous a bien aidé à confirmer que l'on pouvait se prétendre apte à vendre au meilleur prix une pièce dont on ne connait ni la nature, ni la valeur. En fait tout se négocie, même l’ignorance, semble t-il ! Sincèrement, on s’attendait à quelques manques de professionnalisme mais tout de même pas à une réponse aussi affligeante… Mais le cas de n'est que le reflet de l'inaptitude générale de certains acteurs du marché du design qui confondent estimation d'art en ligne et jeu de hasard.

Le cinéma français aurait peut-être dit en parlant de ces acteurs : "les sociétés d'estimations en ligne c'est comme la roulette, vous placez vos espoirs sur certaines valeurs et vous demandez à une bille de vous donner un chiffre..."

 

 

Ces délits auraient-ils pu être évités ?

A défaut de l'obtenir des "grands spécialistes" passés au crible dans cette étude, DOCANTIC est toutefois parvenu à chiffrer la valeur réelle de ses trois œuvres d'art. Comment ? En procédant à des demandes d'estimations accompagnées de notre propre documentation d'époque à des experts indépendants. Résultats : des prix conformes à ceux réalisés aux enchères pour des pièces similaires dans les années passées. Tout simplement.

Il est probable que , , ,  et  seraient parvenus à fournir un service identique s’ils avaient su au préalable identifier les auteurs de ces pièces à conviction. Le problème c'est qu'aucun de ces services ne semble réaliser que l'identification de l'artiste est une étape cruciale dans l'estimation des pièces de leurs clients. Chez DOCANTIC, en revanche, c'est très justement notre coeur de métier. Alors la prochaine fois que vous avez une pièce Art Déco ou design à faire estimer, contactez nous !