Geneviève MARTINEAU-DAUSSET

L'émail, cette matière vitreuse aux somptuosités rares, est un des éléments d'ordre décoratif qui sont en mesure de présenter les plus antiques lettres de noblesse. En effet,les tombes étrusques ont livré les spécimens de bijoux émaillés les plus anciens que nous connaissions.

Toutefois, c'est seule-ment au Ille siècle de notre ère que l'émail conquit vraiment droit de cité, et c'est en Gaule qu'il le fit. Les émailleurs cel-tiques nous ont laissé de nombreux témoignages de leur savoir -faire : agrafes de manteau, boucles de ceinture, etc.

Le métal qui servait alors de support à l'émail était le bronze.
A la chute de l'empire romain, l'art de l'émail se réfugia à Byzance. C'est de là que nous réimportâmes au moyen âge cet art cependant né sur notre sol.
Le moyen âge, comme il se trouva l'être pour le vitrail, fut aussi la grande époque de l'émail ; celle où il prit ses aspects les plus caractéristiques ; celle où se forma une technique qui, depuis, n'a guère varié.

L'art de l'émailleur consiste essentiellement à recouvrir une plaque de métal, cuivre rouge, argent ou or, d'une ou de plusieurs couches de poudres de verre diversement colorées par des oxydes de cuivre ou de fer qu'une rapide cuisson à feu vif transforme en un glacis vitrifié d'une grande dureté.

En partant de ce principe constant de vitrification sur métal, on distingue plusieurs sortes d'émaux, parmi lesquels les émaux « cloisonnés », les pre-miers en date et dont le règne va du Ille au XIIIe siècle ; les émaux « champlevés », du XIe au xve siècle, et qui touchèrent leur perfection au XIIIe siècle ; les émaux de « basse taille », qui s'échelonnent princi-palement sur le XIVe et le xve siècle ; et enfin les émaux « peints », qui firent leur apparition au xve siècle et assurèrent la réputation des artisans émailleurs de Limoges.

Or, l'art de l'émail peint est aujourd'hui malheu-reusement en décadence, malgré les efforts d'artistes de bonne inspiration comme le docteur Jouhaud et M. Bonnaud.
De leur côté, des artistes comme M. Serrière et Mme Martineau-Dausset, dont nous reproduisons quelques oeuvres, s'attachent à créer à Paris des oeuvres originales portant la marque de leur tempé-rament respectif tout en restant dans la ligne de l'orthodoxie du procédé. Généralement une plaque de cuivre rouge de quelques dixièmes de millimètre d'épaisseur. Cette plaque est travaillée au marteau jusqu'à ce qu'elle acquière un certain bombé, sans cesser pour cela de porter sur tous les points de son pourtour. Elle est ensuite chauffée à température modérée (500 degrés environ), puis décapée dans l'acide nitrique.

Elle subit alors une première cuisson entre 800 et 1.000 degrés, après avoir été revêtue préalablement, sur les deux faces, d'un « fon-dant » ou couche de fond constituée par une poudre de verre très fusible. On fait adhérer sommairement cette poudre au métal au moyen d'une solution très légère de gomme adragante.

Cette vitrification sur les deux faces de la plaque, alors qu'une seule sera travaillée ultérieurement, a pour but d'éviter le gauchissement du métal lors des successifs passages au feu.

La plaque sort du four revêtue d'un émail blan-châtre ou translucide qui correspond à l'enduit de fond d'un tableau. C'est sur ce fond que le dessin est reporté à l'encre grasse, à la sanguine, à la grisaille ou autrement. L'émailleur commence alors à recouvrir les différentes parties du motif avec des couches de verre pilé de cou-leurs appropriées, additionné ou non d'oxydes métal-liques.

Ce verre pilé doit être en général lavé de façon à éliminer la poudre trop fine et à ne garder que la matière conservant encore la forme de petits cristaux. Cette grenaille de verre est appliquée sur la plaque au moyen d'une spatule. Comme la présence de tout agglutinant nuirait à la pureté des tons, on ne peut se servir que d'eau distillée pour donner au verre pilé une cohésion suffisante pour sa mise en place. Tout au plus, cette eau peut-elle être additionnée d'une pointe de gomme. On imagine le tour de main qu'il faut pour com-poser un motif décoratif avec une matière aussi instable, éviter que les teintes ne se chevauchent, étancher cons-tamment l'excès d'eau, etc.

Il faut aussi penser aux diffé-rents points de fusion des diverses sortes de verre et combiner son dessin en consé-quence. Les verres les plus durs seront employés les premiers.
Les retouches des huit à neuf cuissons successives que com-porte en général le traitement de l'émail emploieront des verres d'une dureté décrois-sante. Ceci afin d'éviter de faire couler les couches les plus anciennes.

Toutes les retouches doivent se faire pratiquement par addition de matière, la vitri-fication ne permettant pas le grattage. La cuisson se fait aujourd'hui au four électrique. Les plus beaux émaux s'obtiennent .à partir d'un feu vif. Malgré cela, il arrive parfois que les tons restent sourds, étouffés par suite d'impuretés incorporées dans la pâte. Dans ce cas, un rapide décapage dans un bain d'acide fluorhydrique suffit en général à restituer aux teintes leur pureté.  Pour ces travaux, on emploie deux sortes d'émaux : les émaux translucides, comme ceux employés à peu près exclusivement par M. Serrière, qui laissent trans-paraître toutes les couches sous-jacentes ; les émaux opaques, qui ont la préférence de Mme Martineau-Dausset, dont les tonalités gagnent peut-être en éclat ce qu'elles perdent en profondeur.

Certains effets heureux sont obtenus par la combinaison de ces deux pro-cédés. Tels sont, brièvement résumés, les éléments dont se compose la palette du maître émailleur. Le reste est affaire de goût, de sens de l'harmonie et de l'équilibre ; en un mot : de talent.

Il est à souhaiter que nombre de jeunes artistes en quête d'une voie se penchent sur l'émail. C'est une belle matière, une matière qui se prête aux compo-sitions décoratives les plus souples, les plus simples, les plus somptueuses, que chacun peut marquer au coin de sa personnalité, tout aussi bien que dans l'art du bijou.

 

Sources : Images de France N° 109 de Juin 1944

Texte : :arcel Lasseaux
Photos : Jahan

 

 

 

20 novembre 2007, par Brochet : "Bonjour, et merci pour cet article intéressant. Je suis héliograveur selon les techniques anciennes de cet art et je compose actuellement un portfolio luxueux, en emboitage, comprenant 10 gravures héliographiques d'après des clichés personnels. La couverture cartonnée, assez épaisse, pourrait être ornée d'une plaque de cuivre, émaillée blanc, sur laquelle je réaliserai une image par un ancien procédé photographique utilisant des poudres vitrifiables par cuisson à 800°. (émaux photographiques) Pourrions-nous correspondre au sujet de ce travail ? Renseignements complémentaires à : www.apaphot-anc.com Merci de votre réponse, avec indications pour vous joindre. Pierre BROCHET"